Au foyer comme un passager!

Évaluer l’équité des genres : l’utilisation du guide de la surveillance environnementale en El Salvador

Dr Marco Antonio Heredia Fragoso, spécialiste de la diplomatie environnementale et climatique

Le Programme d’assistance technique – Mécanisme de déploiement d’experts (PAT-MDE) mené par Alinea International et financé par Affaires mondiales Canada travaille en collaboration avec Marco Heredia, un spécialiste de la diplomatie environnementale et climatique, et le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles d’El Salvador, en particulier son unité des politiques institutionnelles sur le genre, l’égalité et la non-discrimination, afin de renforcer la capacité des membres clés du personnel dans l’élaboration et l’adoption de politiques et de programmes éclairés et efficaces pour contrer l’inégalité des sexes dans le domaine de la gestion environnementale. En avril, Marco a animé des séminaires au sein du ministère à El Salvador. Son rôle était d’aider à la mise en œuvre d’une initiative innovatrice en Amérique latine et dans les Caraïbes, à savoir un guide pour la collecte d’informations sur les questions de genre dans le contexte de la gestion environnementale. 

Dans cette entrée de blogue, Marco explique comment il apporte son aide technique dans le cadre de séances de formation sur les pratiques exemplaires, les stratégies et les outils pour la collecte et l’analyse de données désagrégées et d’indicateurs. Son témoignage souligne la nécessité d’une gestion environnementale sensible aux questions de genre pour assurer l’accès des femmes à la justice environnementale et climatique. 

Dans un de mes récents voyages, j’ai entendu par hasard le commentaire d’une personne qui discutait de la nécessité de promouvoir l’équité des genres dans le contexte de notre vie sociale chez soi, à domicile. Cette personne relevait le fait que beaucoup d’hommes, une fois rentrés chez eux après leur journée de travail, se comportent comme des « passagers ». Ils ne prennent pas de responsabilités pour les tâches ménagères ou les soins aux membres de la famille; ils demandent plutôt qu’on leur présente le « menu du jour » ou « ce qui s’est passé à la maison aujourd’hui ». Dans de nombreuses communautés de par le monde, dont en Amérique latine, cette tendance reflète et perpétue la conception du rôle de la femme qui est censée prendre soin des personnes avec qui elles habitent. Comment cet enjeu sociétal peut-il changer si les conditions assurent la reproduction de cette norme simplement parce que « c’est comme ça depuis toujours »?

C’est à ce genre d’enjeux sociaux que je pense en réfléchissant ici à mes contributions au Partenariat d’assistance technique – Mécanisme de déploiement d’experts (PAT-MDE) dans le cadre d’une initiative à court terme en El Salvador menée par Alinea International et financée par Affaires mondiales Canada.

Mon rôle dans ce projet fait suite à une demande du ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles d’El Salvador, qui voulait qu’on lui propose un guide pour la collecte et l’analyse d’informations et d’indicateurs sur l’égalité des sexes et la gestion de l’environnement. Mon travail en El Salvador était aussi axé sur la Politique d’aide internationale féministe du Canada, qui fournit des lignes directrices pour l’identification et le traitement des questions de genre dans le cadre d’efforts de développement international. Je me suis appliqué à cerner des endroits où ce serait possible de collecter des informations sur la participation des femmes, des adolescentes et des filles aux activités de gestion environnementale développées par le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles d’El Salvador. Sur cette base, j’ai conçu un ensemble d’indicateurs pour mesurer cette relation dans le but de renforcer la capacité des autorités pour ce qui est de concevoir, d’instaurer et d’évaluer un régime de gestion environnementale soucieux des questions de genre.

Le Programme des Nations Unies pour l’environnement affirme que l’Amérique latine et les Caraïbes comptent environ 365 millions de femmes et de filles. Parmi elles, environ 63 millions habitent en milieu rural, où elles dépendent grandement de leur rapport étroit avec l’environnement et de l’utilisation des ressources naturelles. La population d’El Salvador – et de plusieurs pays de cette région – compte une majorité de femmes, soit 53,3 % de la société salvadorienne. Cette proportion est la même dans les villes et les campagnes et c’est le cas dans chacun des 14 départements du pays.

Bien qu’elles représentent la majorité de la population, seulement 11 % des femmes possèdent des terres agricoles productives. Les propriétaires de maisons, de terres où il y a des fermes ou d’endroits où ont lieu les activités productrices d’une famille sont plus souvent des hommes que des femmes. Les femmes sont propriétaires de 43 % des maisons; les hommes sont propriétaires de 57 % des maisons. Le taux d’analphabétisme des femmes selon les groupes d’âge est autour de 4 % et il est plus élevé chez les femmes plus âgées. Comparativement aux hommes, les femmes sont 65 % plus nombreuses à ne pas participer au marché du travail à cause de responsabilités ménagères ou de responsabilités d’aidantes. Les hommes gagnent au-dessus de 55 dollars de plus que les femmes dans un même emploi.

En développant le guide, j’ai pu souligner des données pertinentes sur des activités relatives à la participation sociale et à la gestion des ressources naturelles. Par exemple, plus de 15 380 personnes ont eu une interaction avec le « domaine de l’éducation culturelle et environnementale » en 2022 : c’était des femmes à 51,54 % et des hommes à 48,46 %. Autre exemple : aucune femme n’a obtenu une concession d’utilisation de la forêt saline en 2022; elles ont toutes été accordées à des hommes, pour divers projets comme l’extraction de sel et l’aquaculture.

L’outil canadien Analyse comparative entre les sexes plus (ACS Plus) [1] a joué un rôle fondamental dans la dissection des étapes et des éléments permettant d’orienter l’examen des informations et, éventuellement, l’élaboration ou l’ajustement de politiques, de programmes et d’actions nous permettant de transformer notre réalité, afin de bâtir un monde où les fardeaux ne sont pas inégalement répartis et où les décisions et les actions de la vie familiale sont prises par des copilotes, plutôt que par un passager qui finit par se soustraire aux tâches ménagères ou aux responsabilités familiales.

Quand je pense à mes contributions à l’initiative du PAT-MDE en El Salvador, je vois clairement qu’il faut absolument viser des enjeux sociaux, comme la dynamique du « passager » dans les ménages. En développant un guide pour la collecte d’informations sur l’inégalité des genres en rapport avec la gestion environnementale, nous pouvons promouvoir l’équité et ouvrir une voie vers une société plus juste, où les fardeaux ne sont pas distribués injustement, le pouvoir décisionnel n’est pas asymétrique et les « passagers » ne définissent plus les rôles dans les foyers familiaux. L’outil canadien d’Analyse comparative entre les sexes plus a joué un rôle clé dans ces efforts en nous aidant à examiner les informations et à définir des politiques, des programmes et des actions qui aident à réformer nos normes sociétales.

Dans mes 23 années d’expérience dans le domaine de la gestion de l’environnement et des changements climatiques, la rédaction de ce guide marque un jalon. Il apporte la possibilité d’opérer des changements tangibles en assurant l’égalité de l’engagement des femmes et des hommes dans la protection des ressources naturelles et de l’environnement.

Je salue le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles qui a eu la vision d’entreprendre ce projet et je leur souhaite de grands succès dans la mise en œuvre de cette ressource. À la lumière des données collectées avec transparence et clarté, nous pouvons commencer à cheminer vers une société qui nous permet d’aplanir le terrain, de briser le plafond de verre qui empêche la montée des femmes, des jeunes et d’autres communautés vulnérables et de changer le comportement des « passagers » dans leurs foyers familiaux.

Références :

  1. Statistical Conference of the Americas, Economic Commission for Latin America and the Caribbean (2021), Proposed Biennial Program of Activities 2022-2023. https://www.cepal.org/es/organos-subsidiarios/conferencia-estadistica-americas
  2. Programme des Nations Unies pour l’environnement (2023), Genre et environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes. https://www.unep.org/genero-y-medio-ambiente-acciones-del-pnuma-en-america-latina-y-el-caribe
  3. Gouvernement du Canada, Femmes et Égalité des genres Canada, Analyse comparative entre les sexes plus (2023). https://femmes-egalite-genres.canada.ca/fr/analyse-comparative-entre-sexes-plus.html
  4. Ministerio de Ambiente y Recursos Naturales (2023), Guía para la recopilación de información, análisis e indicadores sobre equidad de género y gestión medioambiental.

[1] ACS Plus est un outil analytique qui répond à l’engagement du gouvernement du Canada envers le développement de politiques, de programmes et de législation depuis 1995. Il vise à assurer l’inclusion des femmes, des hommes et des personnes de diverses identités de genre. Il tient compte aussi de « l’intersectionnalité », un modèle de recherches et de politiques qui reconnaît la complexité des facteurs qui déterminent et qui influencent la vie humaine.