Par Yvio Georges expert en changements climatiques Ella-Nadège Nzobonimpa, experte en genre.
Par l’entremise du Partenariat d’assistance technique – Mécanisme de déploiement d’experts (PAT-MDE), un programme mis en œuvre par Alinea International et financé par Affaires mondiales Canada (AMC), l’initiative L’IAT-74 Tunisie: Femmes, environnement et changements climatiques » a bénéficié au personnel du Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CRÉDIF), à des cadres des Ministères de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes Âgées (MFFEPA), de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche (MARHP), de la Santé publique et des Finances.
Le partenaire tunisien, le Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF), sous-tutelle du Ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes Agées, avait soulevé le besoin de renforcer les capacités de son personnel pour soutenir son rôle dans la mise en œuvre du Plan d’Action National Genre et Changement Climatique (PANGCC) et pour répondre à la nécessité de sensibiliser tant les parties prenantes impliquées dans la lutte contre les changements climatiques qu’un public plus large de Tunisien·ne·s à l’intersection du genre et du climat, dans un contexte national marqué par une pénurie croissante d’eau.
Partout sur la planète, les effets du changement climatique s’intensifient : sécheresses interminables, inondations destructrices, vagues de chaleur sans précédent, perte de la biodiversité. Si les chiffres et les images des catastrophes climatiques sont alarmants, il est une réalité moins visible : toutes les populations ne sont pas touchées de la même manière. Les inégalités, notamment entre les femmes et les hommes, amplifient la vulnérabilité face aux crises climatiques.
C’est précisément cette réalité que Yvio Georges, expert en changements climatiques et Ella-Nadège Nzobonimpa, experte en genre, avons eu le privilège d’explorer lors de la mission de formation de formateurs et formatrices certifiante en Tunisie sur le thème « Femmes et changements climatiques ».
Les changements climatiques ont des effets genrés
Les femmes et les filles sont souvent en première ligne face aux conséquences du dérèglement climatique du fait du rôle central qu’elles jouent dans l’agriculture de subsistance, la gestion de l’eau et des ressources naturelles.
La vulnérabilité accrue des femmes face aux changements climatiques n’est pas le fruit du hasard ou une fatalité. Elle est souvent le résultat d’inégalités existantes comme l’accès inégalitaire aux ressources et leur contrôle (terre, crédit, information, éducation), la participation limitée des femmes aux processus de décision et des rôles sociaux traditionnels qui leur assignent des responsabilités spécifiques.
En Tunisie, par exemple, les femmes jouent un rôle incontournable dans l’agriculture, mais elles continuent d’évoluer dans un contexte marqué par de fortes inégalités d’accès aux ressources, aux services agricoles et aux espaces de décision relatifs à l’agriculture et au changement climatique. Les femmes constituent 70 % de la main-d’œuvre agricole et 80 % de la main-d’œuvre forestière. Pourtant, elles ne représentent que 15 % de la main-d’œuvre permanente et seules 8 % des exploitations agricoles appartiennent à des femmes. Celles-ci ne détiennent que 5 % de la superficie agricole totale[1], la propriété foncière restant majoritairement masculine. Les effets des changements climatiques accentuent le caractère aléatoire des revenus agricoles des femmes, ce qui limite sévèrement leur capacité d’adaptation. Cela constitue un obstacle supplémentaire à l’accès au crédit et impacte l’amélioration de la productivité des femmes et leur accès aux ressources essentielles. Face à ces défis, les femmes sont souvent contraintes de s’orienter vers d’autres sources de revenus, le plus souvent informelles, sans aucune protection sociale. Ces alternatives, souvent précaires, exposent davantage leur santé et leur sécurité (l’exemple des femmes âgées « laggata » ou glaneuses à Kerkennah[2]).
En outre, l’accès limité des femmes aux informations sur les technologies d’adaptation, les modes de culture résilients et les phénomènes météorologiques extrêmes exacerbe davantage leur vulnérabilité.
Les changements climatiques aggravent également la charge domestique et non rémunérée qui repose principalement sur les femmes et les filles. La pénurie d’eau, dans un contexte tunisien de stress hydrique (Forum mondial de l’eau, 2012), les contraint à parcourir de longues distances pour la collecte, souvent au prix de leur santé et de leur sécurité. Cette corvée d’eau réduit leur temps disponible pour des activités génératrices de revenus ou la participation aux instances de gouvernance de l’eau et peut entraîner l’abandon scolaire des filles.
En Tunisie, comme ailleurs, les réponses aux impacts du changement climatique, notamment en matière d’adaptation, ne tiennent pas toujours pleinement compte des disparités et inégalités existantes entre les hommes, les femmes et les groupes marginalisés et exclus. En conséquence, les enjeux liés au genre et au climat sont souvent abordés de manière partielle, laissant des marges d’amélioration.
Les femmes, actrices clés
Cependant, les femmes ne sont pas seulement des victimes, elles sont aussi des actrices essentielles de l’adaptation et de l’innovation face au changement climatique. Leurs savoirs traditionnels en matière de conservation des ressources, leur ingéniosité face aux défis quotidiens et leur capacité d’organisation au sein de leurs communautés sont de précieux atouts pour construire un avenir plus résilient. De plus en plus d’initiatives locales et internationales mettent en valeur leur rôle dans la gestion communautaire de l’eau, la promotion de pratiques agricoles durables, le développement d’énergies renouvelables à petite échelle ou encore la sensibilisation au sein de leurs foyers et communautés.
Comment soutenir le rôle des femmes ?
Une action climatique sensible au genre est indispensable. Elle doit réduire les vulnérabilités différenciées, assures une transition juste et équitable, sans aggraver les inégalités existantes et agir comme un levier de transformation structurelle pour les combattre. Cela implique, notamment, de renforcer les politiques et soutenir l’autonomisation des femmes, de garantir l’accès égalitaire aux ressources et aux opportunités pour les femmes et les hommes, d’assurer la participation pleine et entière des femmes à tous les niveaux de la prise de décision concernant le climat, d’investir dans l’éducation et la formation des femmes pour renforcer leurs capacités d’adaptation et d’innovation.
C’est sur ces enjeux que nous avons travaillé avec les participant·e·s lors des deux sessions de formation. Ils et elles ont renforcé leurs connaissances sur la vulnérabilité différenciée face aux changements climatiques, sur le rôle des femmes dans la réponse climatique et sur les bonnes pratiques d’adaptation, notamment en matière de gestion durable de l’eau. Désormais, ils et elles disposent d’outils et de stratégies concrètes pour promouvoir une action climatique sensible au genre en Tunisie et contribuer ainsi à la mise en œuvre du PANGCC.
Pour pérenniser les acquis, un kit de formation a été élaboré : guide de la personne formatrice, outils pratiques et présentations Powerpoint, mis à la disposition des futur.e.s formateurs et formatrices.
L’initiative IAT74-2024 porte déjà ses fruits. Très prochainement, des formations sur le genre et le climat seront dispensées auprès de près de 700 personnes du ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche grâce à l’engagement des personnes formées et à la qualité des supports développés.
À travers le PAT-MDE et en partenariat avec divers acteurs locaux et internationaux, le Canada illustre son engagement à bâtir des sociétés plus justes, équitables et résilientes face aux défis environnementaux actuels.
Négliger la dimension de l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est se priver d’un potentiel humain essentiel dans la lutte contre le changement climatique et pour un développement véritablement durable. Reconnaître et soutenir le rôle unique et indispensable des femmes constitue une condition incontournable pour construire un avenir durable, inclusif et bénéfique à toutes et à tous.
Et chez vous, dans votre communauté, votre région ou votre pays, comment les femmes vivent-elles les effets du changement climatique? Connaissez-vous des initiatives qui soutiennent et valorisent leur rôle? Racontez-nous vos expériences et inspirez votre communauté!
Remerciements
Nous exprimons notre profonde gratitude à l’équipe du PAT-MDE, en particulier à Sarah Schattmann, dont les qualités exceptionnelles de coordination ont assuré une collaboration fluide et fructueuse avec le partenaire CREDIF. Nous adressons aussi nos sincères remerciements à Wit Siemieniuk, expert en climat et à Joëlle Matte, experte en genre et changements climatiques, pour la grande qualité de leur appui auprès de l’équipe. Nos remerciements s’adressent aussi à l’équipe et la direction du CREDIF, en particulier à Iman Bouacida et Farah Mnekbi, dont l’accompagnement précieux a permis d’ajuster l’initiative aux besoins et attentes du CREDIF et des participant·e·s. Nous remercions vivement l’ensemble des participant·e·s pour la richesse de leurs contributions, leur engagement constant et l’esprit convivial qui a accompagné toute la formation. Une mention spéciale à Moez Bouchaala, responsable de l’unité de Gestion du Budget par Objectifs (GBO) au Ministère de l’Agriculture, dont l’engagement et la détermination ont été essentiels à la pérennisation de cette initiative.
[1] N. Gueddana, Étude sur la femme rurale tunisienne, 2021
[2] La revue du CREDIF, Femmes et changements climatiques, n°54, janvier 2023




