Le Partenariat d’assistance technique – Mécanisme de déploiement d’experts (PAT-MDE), mené par Alinea International et financé par Affaires mondiales Canada, a collaboré avec Patrick Fruchet, un spécialiste canadien de l’action antimines, et l’Autorité cambodgienne de la lutte antimines (CMAA), qui a la responsabilité de superviser l’élimination des mines antipersonnel sur le territoire cambodgien. L’initiative a exploré des options de financement innovatrices pour permettre au Cambodge d’atteindre ses objectifs en matière de déminage d’ici 2025. Patrick a aidé l’équipe de direction du CMAA à préparer des plans chiffrés pour l’élimination des terrains minés restants d’ici la fin de l’année prochaine, tout en cherchant des façons d’obtenir davantage de fonds internationaux pour atteindre ce but.
Alors que l’initiative tire à sa fin, la totalité des fonds qu’il faut pour mener l’action antimines nationale jusqu’à la fin de 2025 semble être à portée de main. La CMAA a demandé du soutien pratique sur le terrain tout en cherchant à attirer d’importantes sommes pour pouvoir procéder au déminage humanitaire dès que ce sera pratiquement possible. De plus, l’assistance technique a fourni aux cadres supérieurs de la CMAA des exposés et des informations sur les pratiques exemplaires de la sollicitation de fonds à l’international, dont un document-cadre du positionnement pour la mobilisation de ressources. Dans cet article de blogue, Patrick souligne que ce projet représente pour le Canada une occasion d’exercer sa diplomatie humanitaire en venant en aide aux efforts de déminage du Cambodge et de la Thaïlande, de soutenir la Convention d’Ottawa et de rehausser son profil en Asie du Sud-Est en manifestant son engagement envers la paix et la sécurité dans le monde.
Un article de Patrick Fruchet, spécialiste de l’action antimines
« Ce n’est pas un problème étranger. C’est un problème canadien. » Voilà ce qu’affirmait Erin Hunt, directrice générale de Mines Action Canada, lors d’une allocution livrée au Musée canadien de la Guerre devant un public qui comprenait l’actuelle ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et deux anciens ministres des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy et Peter Mackay. Madame Hunt a discuté du rôle que le Canada a joué dans le déminage humanitaire partout dans le monde depuis les années 1990.
En octobre 1996, lors d’un congrès sur la crise mondiale des mines antipersonnel tenu à Ottawa, Lloyd Axworthy a mis au défi les gouvernements de tous les pays à prononcer une interdiction internationale de ce type d’arme. Jody Williams, lauréate du prix Nobel de la paix pour son travail en vue de faire bannir les mines, rappelle ce congrès marquant : « Nous étions tous prêts pour les observations finales livrées par Lloyd Axworthy. En terminant, il a lancé le défi : le gouvernement du Canada a pressé tous les pays du monde de revenir au Canada dans un an pour signer un traité international interdisant l’utilisation de mines antipersonnel. » La « Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction », dite la Convention d’Ottawa, a été ouverte à la signature à Ottawa le 3 décembre 1997.
Les origines de cet exploit de diplomatie humanitaire remontent à l’effet sensibilisateur que les soldats canadiens portant le béret bleu des Nations unies ont eu sur Ottawa au début des années 1990. La guerre civile qui a ravagé le Cambodge des années 1960 à 1990 a laissé derrière elle des campagnes jonchées de mines. À la suite des Accords de Paris sur le Cambodge de 1991, environ 700 membres des Forces armées canadiennes ont servi au Cambodge sous l’égide des Nations Unies de février 1992 à septembre 1993 et des douzaines d’autres y sont restés au fil de la décennie pour aider les Cambodgiens à déminer leur pays. En juin 1994, le lieutenant-colonel George Focsaneanu, conseiller technique principal du déminage auprès du gouvernement du Cambodge, a déclaré qu’en l’absence d’aide internationale, « la seule façon de déminer le Cambodge est à coups de membres perdus ». Son terrible avertissement a incité le Canada et d’autres pays pareillement sensibilisés à affecter des centaines de millions de dollars au déminage. Mais il a aussi été prémonitoire, car malgré les efforts héroïques de milliers de démineurs, Cambodgiens pour la plupart, environ 20 000 habitants du pays ont perdu la vie et 30 000 autres ont été blessés.
Je connaissais le problème des mines au Cambodge depuis 1996. Quelques mois avant que Lloyd Axworthy ait mis le monde au défi de bannir les mines antipersonnel, on m’avertissait de bien observer les panneaux « Danger Mines » quand j’explorais les régions rurales du Cambodge. Des années plus tard, alors que je représentais les Nations unies en Afghanistan, j’ai travaillé aux côtés de collègues militaires de George Focsaneanu qui éliminaient les mines dans ce pays.
C’est avec ces souvenirs en tête que je me suis joint à l’initiative canadienne qu’est le Partenariat d’assistance technique (PAT), financé par Affaires mondiales Canada et mené par Alinea International, afin de collaborer avec l’Autorité cambodgienne de la lutte antimines et de l’assistance aux victimes (CMAA). La CMAA a la responsabilité de superviser le travail d’élimination des mines au Cambodge. Au sein de cet organisme, j’ai aidé l’équipe de direction à développer des plans chiffrés pour le déminage des terrains minés restants avant la fin de l’année prochaine, tout en cherchant des façons d’obtenir davantage d’aide internationale pour atteindre ce but. Avec l’aide du PAT, la CMAA a pu renforcer son leadership sur la scène internationale du déminage et s’est offerte pour accueillir la 5e conférence d’examen de la Convention d’Ottawa, qui aura lieu à Siem Reap au Cambodge en novembre 2024.
Malheureusement, il reste du travail de déminage à faire au Cambodge. L’an dernier, des mines ont tué ou blessé 32 Cambodgiens. Ces dernières années, les victimes ont été plus nombreuses dans la région du nord-ouest du Cambodge, le long de la frontière avec la Thaïlande. Le déminage de ces régions a été laissé pour la fin pendant que le Cambodge et la Thaïlande travaillaient à la résolution de différends sur le tracé de la frontière qui remontent au début des années 1990. Un progrès notable est survenu en novembre 2022 avec l’annonce que le premier ministre cambodgien de l’époque s’était entendu avec son vis-à-vis thaïlandais pour procéder au travail de déminage sur la frontière. « Nous ne devons pas déterminer s’il faut délimiter la frontière avant le déminage », a-t-il dit. Mais depuis, le progrès du déminage à la frontière a été lent, ce qui sème le doute sur les plans du Cambodge qui prévoient l’élimination de toutes les mines restantes d’ici la fin de 2025.
Donc, pour le Canada, il s’agit encore d’une excellente occasion de faire valoir le genre de diplomatie humanitaire dont il a fait preuve à Ottawa en 1996, en tendant cette fois une main aidante au Cambodge et à la Thaïlande qui s’efforcent d’achever la tâche d’éliminer les derniers vestiges des terrains minés. Le Canada peut aiguillonner ses vis-à-vis cambodgiens et thaïlandais par son leadership proactif à l’appui de la Convention d’Ottawa, y compris par son soutien financier aux efforts de déminage à la frontière. Cette réaffirmation du rôle central du Canada au sein de la communauté de la Convention d’Ottawa rehausse non seulement notre profil en Asie du Sud-Est, mais aussi notre rayonnement international, en manifestant notre engagement envers la paix et la sécurité partout dans le monde.
L’auteur : Patrick Fruchet est un spécialiste de l’action antimines qui compte plus de 25 années d’expérience dans le domaine. Avant sa carrière de consultant, il a travaillé pendant vingt ans aux Nations unies, sa dernière affectation étant celle de directeur pour l’Afghanistan du Service de la lutte antimines (SLAM/UNMAS) de l’ONU.